Le crépuscule de tous les dangers ¤libre¤

J’avais fini mon nouveau travail plus tard que prévu, et, déjà, je pouvais voir le jour se coucher. Les sueurs froides ne tardèrent pas à perler sur mon front, dans mon cou, ma nuque et mon dos. Alors qu’autrefois je me serais régalée de ce spectacle à couper le souffle, aujourd’hui, il m’angoissait plus que n’importe quoi d’autre. Oui, j’avais peur du coucher de soleil. Oui, je le fuyais comme la peste. Ma main se porta machinalement au crucifix qui ne quittait plus mon cou depuis qu’il m’avait mordue pour la première fois. Je craignais une nouvelle rencontre plus que n’importe quoi d’autre. Cet être, à la fois beau et effrayant m’attirait autant qu’il me révulsait. Utilisait-il son pouvoir sur moi pour m’attirer dans ses bras ? Il l’avait fait, sans nul doute, la première fois que je l’avais rencontré. Lorsqu’il m’avait mordue. Et lorsqu’il avait continué à me pourchasser après. Je ne pouvais m’empêcher de remercier le clochard qui était intervenu alors, l’empêchant de me faire boire son sang, même si, d’un certain côté, je me sentais coupable de sa mort. Au moins, le malheureux avait-il quitté ce monde.

Un monde cruel dans lequel j’avais précipité une enfant, mon enfant. Elle était loin de moi. Trop loin. Son absence provoquait en moi un manque cruel. Mais quand elle était née, je n’étais pas prête à m’occuper d’elle. Et vu ce qu’il m’était arrivé, c’était mieux pour elle qu’elle ne me connaisse pas. Même si j’espérais qu’un jour elle voudrait faire ma connaissance, et que ce jour-là, celui qui me pourchassait serait réduit en poussière. Pourquoi ne pouvais-je pas vivre une vie tranquille ? Une vie dénuée de danger ? Pourquoi continuait-il à me pourchasser ?

Entre nous, je n’en avais pas la moindre idée. Qu’avais-je de si spécial pour qu’il me pourchasse ainsi tout le temps ? Qu’avais-je de si spécial pour que ce vampire refuse de me laisser en paix ? J’espérais que ma venue à Los Angeles serait mon dernier déménagement. Mon pays natal me manquait. Pourtant, j’étais passée maîtresse en l’art du déguisement. Personne n’aurait pu savoir d’où je venais exactement tant j’avais vite appris à modifier mon accent. Ce qui ne changeait pas, ou prou, c’était mon apparence physique, toutefois. Ca, je n’avais, malheureusement pas le loisir de la modifier. Mais j’espérais l’avoir définitivement perdu à Seattle, que, maintenant que je me trouvais à Los Angeles, il me foutrait la paix. Qu’il ne viendrait pas me chercher ici. Mais on peut toujours rêver, n’est-ce pas ?

Cette crainte rompit mon immobilité et je me mis à marcher sur le trottoir. Je travaillais dans un petit bistrot au bord de la plage. Autant dire que la vue était magnifique… Elle donnait plein ouest sur le coucher de soleil sur l’océan Pacifique. Mais je n’y jetais pas un regard. Machinalement, ma main se glissa dans mon sac à main pour y enfermer ma bombe anti-agression. Une bombe assez spéciale, puisque son contenu était de l’eau bénite. Son efficacité ? Toute relative, même si elle permettait de me donner un peu d’avance en cas d’attaque. Mais j’espérais bien ne pas être pourchassée par un vampire, ni suivie par l’un d’entre eux ce soir. Je voulais, une fois encore, profiter d’un peu de calme et me dire que tout ça c’était derrière moi et que je pouvais, dorénavant, mener une vie normal. Oui… C’est beau de rêver…

J'ignorais ce qui avait conduit mes pas à cette petite échoppe, près de la plage. J'ignorais que j'y rencontrerai quelqu'un au vécu similaire au mien, quoi que différant par la façon dont nous l'appréhendions. Pour ma part, mes nuits restaient peuplées de rêves de morsure, et je n'imaginais pas que mon vampire s'arrête là. Il m'obsédait le jour, tout autant qu'il hantait mes nuits, et je ne savais plus rien faire sans penser à lui. M'observait-il en ce moment ? J'avais beau tenter de ne pas focaliser mon attention sur lui, je ne pouvais pas m'en empêcher.

Le coucher de soleil me plaisait, autant qu'il m'effrayait. J'avais toujours aimé les teintes que prenaient le ciel lorsque l'astre du jour descendait sur la mer. J'avais toujours aimé ce moment, où le jour s'éteint peu à peu après un dernier coup d'éclat et laisse place à la nuit. Et aujourd'hui comme tant d'autres fois, je regardais la lumière décliner, assise sur la plage, à même le sable, tout près de ce petit bistro. Ma vie en elle-même ne valait plus grand chose, j'avais délaissé tout ce qui me tenait à coeur, plongée que j'étais dans mon obsession de le retrouver.

Ma main effleura mon cou, comme si j'avais pu encore y sentir les traces de morsures, pourtant disparues depuis bien longtemps. M'en protéger ne m'était pas venu à l'esprit. S'il avait voulu ma mort, il l'aurait sans doute déjà fait, n'est-ce pas ? La lumière diminuait et je n'attendais plus que la nuit pour rentrer chez moi, refusant que mes parents s'inquiètent pour moi – pour le moment, tout du moins. Je me relevai finalement, pieds nus dans le sable, et pris mes chaussures dans mes mains.

Toujours sur mon trente-et-un, je portais comme bien souvent des vêtements de ma création, me souciant peu des regards parfois étonnés qu'on jetait sur moi. Mes ballerines blanches n'étaient sans aucun doute pas l'idéal pour marcher sur la plage, aussi les avais-je donc retirées, savourant le toucher du sable sous mes pieds nus. Et finalement, revenue sur le trottoir, j'entrepris de les remettre, après avoir débarrassé mes pieds des grains de sable récalcitrants.

Je me levai presque d'un bond, heurtant par mégarde la jeune femme qui passait sur le trottoir et m'excusai rapidement. A l'origine, je ne pensais pas lui dédier plus d'un mot d'excuse, mais quelque chose me força à croiser son regard, comme une force indicible qui me hurlait de l'observer. Je remarquai avec un sourire quelque peu faussé le crucifix qui pendait à son cou. Je restai un moment, silencieuse, immobile, à la contempler. Une belle femme, à n'en pas douter, mais quelque chose dans son regard transpirait la terreur. J'étais bien incapable de l'expliquer, mais c'était comme si quelque chose me liait à elle, moi qui ne me liais à personne, refusais même de renouer contact avec mes amies, repoussais mes soeurs.

Elle semblait terrorisée. Ce fut sa peur qui me fit détourner le regard, avisant sa main crispée à l'intérieur de son sac à main. De qui cherchait-elle ainsi à se protéger ? Ou de quoi ? Je ne savais pourquoi, mais j'avais le sentiment de connaître la réponse.

"Vous ne l'arrêterez pas. Rien ne l'arrêtera. Ils jouent avec nous comme des chats avec les souris. Il n'y a qu'à attendre leur bon vouloir pour savoir ce qu'il restera de nos vies..."

Devant son air interloqué, je haussais les épaules, prête à tourner les talons. Je m'étais peut-être trompée, et elle me prendrait pour une folle qui débitait n'importe quoi. Moi je m'étais résignée. Un jour, il me retrouverait, et il ferait ce qu'il voudrait de moi. Vivante, je ne l'étais déjà plus vraiment. Il pouvait bien prendre ma vie, s'il le souhaitait.